L’observatoire de neutrinos de Sudbury (ONS) est un détecteur de particules subatomiques très sensible, suspendu à deux kilomètres sous terre dans une mine de nickel du nord de l’Ontario. Protégé du rayonnement de fond à la surface de la Terre, l’ONS permet de mesurer avec précision la particule subatomique la plus abondante dans l’univers connu, le neutrino.
L’ONS est un exemple d’observation scientifique pure : l’enregistrement de données avec une interférence limitée de variables non contrôlées. Ces données précieuses sont utilisées pour vérifier, remettre en question ou améliorer nos théories sur le fonctionnement de l’univers. Pionnier en la matière, l’ONS a contribué à percer les mystères du Big Bang et de la matière elle-même, ce qui a valu au directeur du projet le prix Nobel de physique en 2015.
La science pure est aussi admirable qu’exigeante : elle nécessite un équipement complexe, des laboratoires stériles, un processus de vérification par des pairs et de réplication laborieuses, des experts ridiculement éduqués et un important financement. Ne laissez pas ces sexy « TED Talks » vous tromper : la vraie science est un marathon ardu, méticuleux et exigeant sur le plan intellectuel.
Avec un accès à des réserves de données inépuisables, à du personnel hautement qualifié et à des outils de test sophistiqués tels qu’Adobe Audience Lab et Optimizely, il est facile de comprendre pourquoi les spécialistes du marketing numérique modernes commencent à se sentir comme des scientifiques. Dommage que nous ne serons jamais des scientifiques. Ce n’est pas par manque d’outils, de talent ou d’argent : c’est que nous menons nos expériences à la surface dans un système complexe et incroyablement dynamique appelé l’économie.
La majeure partie des points de données analysés ces jours-ci par les spécialistes du marketing décrivent un être humain en train de taper, cliquer, faire défiler une page ou parler à un ordinateur. Cela se produit dans toutes sortes de contextes : dans les magasins, dans les appartements, au sous-sol, lors de réunions, à l’arrière d’Ubers ou lors de l’abandon d’un article de blog marketing. Et chacune de ces actions peut être influencée par la météo, l’humeur, le marché du travail ou un tweet que vient de publier Kanye West.
La prise en compte de ces variables n’est pas seulement impossible : elle est intrusive et immorale. Cependant, en tant qu’industrie, nous nous efforçons toujours de nous concentrer davantage sur les données, car elles sont performantes. Dans cette ère numérique qui dicte de « bouger vite et casser des choses », où la volonté religieuse de « perturber » s’immisce dans presque tous les marchés, la rigueur académique nécessaire pour être scientifique sera toujours une demoiselle d’honneur à la promesse de gains immédiats de performance dans les médias.
Au lieu d’aspirer à devenir des scientifiques, nous devons commencer à penser davantage en termes d’économétrie.
L’économétrie est une science appliquée qui extrait des relations quantifiables (appelées estimateurs) des données économiques observables. Si les taux d’intérêt varient de X%, que pouvons-nous attendre de l’offre de condominiums dans une ville donnée ? Si la taxe sur l’essence augmente de Y%, quelles seront les conséquences sur les habitudes de conduite d’un individu ? L’économétrie tente de répondre à ce genre de questions.
Nous ne pourrons jamais comprendre ces relations avec précision, alors le jeu consiste à utiliser les données disponibles pour découvrir des estimateurs fiables (qui le deviennent encore plus avec l’accroissement des données) à utiliser dans des modèles qui expliquent ce que nous voyons et qui engendrent des prévisions généralement réussies.
En tant que spécialistes du marketing numérique, nous sommes particulièrement bien placés pour appliquer un éventail de techniques microéconométriques à nos données d’analyse Web incroyablement granulaires. En ce qui concerne les variables non enregistrées ou imparfaitement observées qui sous-tendent des actions individuelles (par exemple, l’humeur, les préférences, Kanye), eh bien, nous intégrons ces facteurs en tant que perturbations d’ordre général ou de « bruit de fond » dans notre modèle.
Pour ceux qui ont de l’expérience dans le domaine, jusqu’à présent, cela ressemble à un modèle statistique tout ce qu’il y a de plus ordinaire, n’est-ce pas ? Nous excluons généralement ces facteurs de nos modèles et nous nous basons uniquement sur ce qui est généré sur les plateformes médias ou les bases de données CRM. Concentrez-vous sur les dépenses, les performances de la campagne, les appels téléphoniques, les données démographiques, la position moyenne, les statistiques de l’entonnoir, et nous sommes en selle, n’est-ce pas ?
Lorsque nous limitons notre analyse statistique aux tendances des données en provenance des plateformes, à une partie transversale de nos données médias ou à un ensemble de données s’échelonnant sur plusieurs années, nous supposons tacitement que notre programme de marketing est isolé de forces du marché très importantes. Nous travaillons à tort dans une bulle.
Avez-vous déjà vu un spécialiste doué des médias aux commandes d’une plateforme média ? Cela fait penser à un enfant (ou, dans le cas de mes amis, un père chauve) qui joue magistralement à Mario Kart sur la Nintendo Switch, esquivant et se penchant dans les courbes, se disputant la première position face à de redoutables adversaires.
Plongés dans l’interface utilisateur de la plateforme, les spécialistes peuvent facilement croire que l’optimisation des médias est un jeu vidéo multijoueur déterministe, à l’abri du bruit du monde extérieur. Cependant, quel que soit notre score, le concours dans son ensemble est profondément affecté par l’évolution de l’utilisation des dispositifs, les tendances des ventes en magasin, l’économie des petits boulots (gig economy), le vieillissement de la population, la maturation de Kanye en tant qu’artiste, les coûts de fabrication, etc. Ces facteurs combinés peuvent influer davantage sur les résultats que nos meilleures procédures d’optimisation ne pourraient espérer.
Les banques le savent. Les compagnies d’assurances le savent. Les analystes des politiques gouvernementales le savent. Mais nous, les spécialistes du marketing numérique, dotés de toutes sortes de leviers et d’indicateurs de performance de campagne — qui nous sont présentés dans une épatante interface utilisateur — nous plongeons tellement profondément dans le jeu que nous passons outre l’histoire plus vaste qui se déroule.
De promettre résultats incrémentiels à nos clients exclusivement sur la base de tactiques de jeu vidéo ne constitue pas une stratégie d’affaires durable.
Disons que nous avons connu une année exceptionnelle en termes de performance des médias pour la vente en ligne de suppléments de vitamines. Mais il s’adonne également que l’ensemble du complexe industriel du mieux-être a connu une année record en matière de vente en ligne en 2018. De se tenir debout dans une salle de conseil et s’attribuer le crédit sans crainte de cette performance tout en sous-estimant ou en ignorant les facteurs de situation serait un cas classique de biais d’attribution. (Si vous tentez de le répéter à l’avenir : bonne chance…) Inversement, le fait de blâmer le commerce électronique de détail en raison de l’année en baisse tout en ignorant les facteurs liés à la situation, comme la prise de contrôle globale d’Amazon, constituerait un biais d’attribution de la part du client. C’est une position de perdant dans les deux cas.
Nous pouvons éviter ce piège si nous agrémentons nos modèles de prévisions médiatiques dans l’esprit de l’économétrie. Étrangement, l’inclusion de données microéconomiques certes imprécises et « non scientifiques » dans notre processus de modélisation prédictive nous aidera à prévoir et à évaluer les performances de manière plus réaliste et honnête.
Alors, comment votre organisation peut-elle faire la transition vers la pratique économétrique ?
Cela ne doit pas nécessairement être un exercice d’une année. Cela ne doit pas nécessairement s’effectuer client par client ou par une seule agence. Paradoxalement, le fait d’enlever nos blouses de laboratoire et de reconnaître humblement que nous ne jouons pas à un jeu vidéo à deux kilomètres sous terre nous rendra meilleurs en matière de prévision. Faisons en sorte que nos équipes de données changent de cap et passent de la physique à l’économétrie.
Vous souhaitez en savoir plus sur les bénéfices de l’exploitation des données microéconomiques pour votre entreprise ? Parlons-en.